Dejace, Théo
Personne physique, 3003886
De son vrai nom Joseph Théodore Dejace, Théo Dejace est né le 7 mars 1906 à Liège et est décédé dans sa ville natale le 11 février 1989.
Il est le premier enfant d’une famille d’ouvriers très socialiste depuis toujours. Sa mère est couturière et son père, qui a été l’un des créateurs du syndicat des peintres de Liège, est un peintre en bâtiment.
Théo n’a pas connu une enfance très facile. En effet, alors qu’il n’avait que huit ans, son père est fusillé par les Allemands au cours de l’invasion de la Belgique en 1914. Bien que cet événement soit traumatisant, cela n’entrave pas le parcours scolaire de Dejace. Après avoir achevé ses études secondaires, il décide de suivre une formation à l’École provinciale de Jonfosse dans le but de devenir instituteur. C’est là qu’il sera confronté pour la première fois à l’idéologie communiste.
L’étudiant est diplômé en 1925. Un de ses premiers réflexes post-diplôme est d’adhérer à la CPES, la Centrale du Personnel Enseignant Socialiste. Néanmoins, il ne trouve pas de travail dans l’enseignement directement. Théo accomplit ses obligations militaires puis, faute d’emploi, s’inscrit au chômage. Il finit par travailler dans une banque pendant environ deux ans, avant d’œuvrer pour la police de Liège pendant quelques mois. Jusqu’ici, ses emplois n’ont aucun lien avec sa formation.
Ce n’est qu’en 1929 qu’il est engagé comme professeur d’éducation physique dans une école communale de Liège. En 1932, il est intégré dans le comité local de la CPES de la Ville de Liège. Dans le même temps, il devient animateur des Jeunes Éducateurs Prolétariens, une association qui donne des formations au niveau littéraire, mais aussi politique et syndical. Dejace évolue assez rapidement au sein de la CPES car, en 1934, il est élu secrétaire du comité d’action provincial. En janvier 1937, il devient le secrétaire adjoint de la section régionale liégeoise.
En parallèle, sa vie personnelle connait un premier rebondissement : il épouse Elisabeth Gille en 1935. Cependant, aucun enfant ne naitra de cette union.
Durant cette décennie, il prône une politique d’opposition au sein de son syndicat et encourage à avoir un front unique envers le Plan du Travail. Ses prises de position déclarées radicales lui valent d’être en conflit avec la direction de la CPES de Liège, qui l’accuse d’être un sympathisant communiste. Cette accusation se base sur un rapport datant de 1934 dans lequel Dejace est identifié comme un membre actif d’une cellule communiste du syndicat liégeois des enseignants.
Ces accusations ne mettent pas un terme à sa carrière politique et son engagement car, en 1938, il devient le Président de la CPES liégeoise.
En réalité, Théo Dejace joue effectivement sur deux tableaux durant toute cette décennie. Bien qu’il affirme avoir adhéré au Parti communiste belge en 1940, il reconnait bien plus tard qu’il travaillait « en bonne entente » avec le parti depuis 1929. Ainsi, entre 1929 et 1940, il était membre du Parti Ouvrier Belge via son syndicat, tout en servant les intérêts communistes, une double appartenance qui s’explique par son engagement envers de nombreuses organisations associées à l’idéologie communiste. Parmi elles, on peut citer le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes , le Comité d’Aide à l’Espagne , le Rassemblement Universel pour la Paix , les Jeunes Gardes Socialistes Unifiés , les Amis de l’URSS mais aussi le Secours Rouge International.
Ses liens communistes à l’international se développent au fil des années et il suit même une formation marxiste-léniniste à l’Université Ouvrière, à Paris. Il assiste à des congrès de l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement en France et en Angleterre, ainsi qu’à l’Université d’Oxford.
Avant d’adhérer au PCB, ses prises de position radicales au sein du parti ouvrier valent à la cellule liégeoise de celui-ci de se retrouver de plus en plus isolée de ses autres pendants provinciaux. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, sa réputation va de mal en pis. Un journal le qualifie « d’agent bénévole de Staline ». Néanmoins, et de manière diplomatique, il n’approuve pas le Pacte de non-agression germano-soviétique et les invasions liées en Pologne et en Finlande. Toutefois, il finit par se faire expulser de la CPES liégeoise, après qu’une brochure du POB ait titré « Suivre Dejace, c’est rompre avec le POB ».
L’invasion de la Belgique en mai 1940 est l’élément décisif de la carrière de Théo. Il adhère officiellement au PCB, comme dit plus haut, et est immédiatement intégré à la direction clandestine du parti à Liège, ayant déjà fait ses preuves dans son précédent Parti.
Durant l’occupation, et une fois n’est pas coutume, Dejace joue sur deux tableaux : tout en étant dans la clandestinité, lui et son parti peuvent bénéficier d’une certaine tolérance car le PCB a signé le Pacte germano-soviétique. Dejace continue donc son activité syndicale et s’oppose à l’inclusion du syndicat des enseignants dans l’Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels car le syndicat en question est accusé d’être collaborationniste. Pendant l’hiver 1940, qui fut très violent, il mène des actions de revendications avec le personnel communal liégeois et, en 1941, il écope d’une suspension d’un mois par le bourgmestre de Liège en raison de celles-ci.
C’est après cette suspension qu’il entre petit à petit dans la clandestinité. Cela lui permet d’échapper à toutes les arrestations engendrées par l’opération Sonnewende du 22 juin 1941, qui a consisté en une rafle massive des communistes belges par les nazis, à la date symbolique où l’Allemagne nazie envahissait l’URSS. Cette opération à grande échelle avait pour but de paralyser de bout en bout la chaine de pouvoir communiste afin d’éviter des représailles. Dejace participe alors à la création de comités clandestins dans des usines et édite son propre journal clandestin intitulé « Liberté ».
Dès 1941, le PCB change de stratégie pour, d’une part, cesser d’être isolé et, d’autre part, promouvoir la libération à l’échelle nationale. Fort de ses nombreux contacts dans différents partis, Théo Dejace est la personne idéale pour coordonner cette action à Liège. En août 1941, il co-fonde le Front Wallon pour la Libération du Pays, précurseur du Front de l’Indépendance, et participe à la création du journal clandestin « La Meuse ».
Comme le succès ne vient pas sans les problèmes, Dejace rencontre des soucis avec la direction nationale du PCB car le Front Wallon est trop marqué… Wallonie. C’est pour cela que fin 1941, Dejace se rend à Bruxelles pour devenir l’adjoint de M. Constant Colin, le secrétaire national du PCB. De là, Dejace peut promouvoir la politique syndicale du PCB dans moulte entreprises.
En 1943, il fait son entrée au Comité central du PCB. Il devient l’un des responsables de la maison d’édition clandestine du parti, Edinat. Il échappe miraculeusement aux arrestations de juillet 1943 et est affecté comme instructeur pour trois provinces : Bruxelles, le Brabant Wallon et le Hainaut. Alors que l’Occupation touche à sa fin, il est de nouveau muté et prend le poste de responsable des Comités de Lutte Syndicale pour le Front de l’Indépendance.
Durant la guerre, il a une liaison avec Mme Juliette Franquet. Celle-ci lui donnera un fils, Robert.
Après la Libération, Dejace a l’idée de transformer les différents CLS en syndicats uniques sous la houlette d’une organisation nationale, la Confédération Belge des Syndicats Uniques , majoritairement sous influence communiste. En sa qualité de secrétaire, il mène des négociations avec différents syndicats, qui débouchent sur la création de la Fédération Générale du Travail de Belgique le 1er mai 1945. Il en deviendra le secrétaire national.
Néanmoins, au sein de la FGTB, Théo n’arrive pas à s’imposer comme à l’accoutumée. Nouveau venu, il maitrise mal les dossiers techniques et leurs spécificités législatives. Il est entravé par les socialistes qui empêchent bon nombre d’actions. Toutefois, dans le même temps, sa position au sein du PCB ne fait que grandir et se solidifier. Fin 1945, il est élu au Bureau politique, c’est-à-dire l’organe décisionnel le plus haut du parti. Aux élections législatives de Belgique de février 1946, il est élu député dans l’arrondissement de Liège. Il sera régulièrement réélu à ce poste jusqu’en 1965, essayant de faire entendre la voix de la FGTB au Parlement, bien que sa place y soit de plus en plus réduite. Le PCB lui demande alors de choisir entre ses différentes fonctions et il est décidé qu’il doit renoncer à son poste de secrétaire à la FGTB. Par la même occasion, on exclut tous les communistes des postes importants.
En 1948, inarrêtable, Théo ne cesse de défendre les droits des travailleurs dans le cadre de ses activités parlementaires. En 1949, il est nommé secrétaire politique de la fédération liégeoise du PCB mais sa manière d’imposer les choses ne plait pas et, une fois n’est pas coutume, il se retrouve en conflit avec sa direction.
C’est ce qui provoque son remplacement en 1950, en plus de perdre sa place au Bureau politique, bien qu’il reste membre du Comité central.
En 1950, il se marie une seconde fois avec une femme du nom d’Hélène Noville, qui lui donna une fille, Yvonne.
Dès 1951, il dirige la fraction parlementaire du PCB et siège dans différentes commissions. Il est élu en 1952 au conseil communal de Liège et se sert de ce poste pour défendre les revendications des syndicats, notamment en lien avec la fermeture des différents sites de charbonnage dans la région.
Après les grèves qui se déroulent entre 1960 et 1961, Dejace convint le PCB de rejoindre le Mouvement populaire wallon. Il réussit sa mission et siège dès lors à son Conseil général. Il occupe encore plusieurs fonctions politiques, notamment au sein du Front de l’Indépendance, en accordant une grande importance à la Commission historique. Finalement, il quitte la Chambre des représentants pour devenir Sénateur en 1965.
Il aura donc eu une carrière politique de parlementaire de vingt-deux années, marquées par un engagement certain, peu importe l’opinion qu’on se faisait de lui.
En 1968, année de son arrivée au Sénat, Dejace entre à nouveau en conflit avec la direction du PCB. Étant un Stalinien pure souche et malgré la déstalinisation de 1956, il refuse de condamner l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie. Il démissionne du Comité central via une lettre qu’il fait publier dans la presse et revient à l’échelle locale du Front de l’Indépendance. Il demeure hostile à l’eurocommunisme et aux réformes de son parti. Il quitte finalement son mandat communal en 1976 car il ne remplit plus les conditions de limites d’âge.
Malgré tous les désaccords vécus, il reste fidèle à son idéologie communiste et, après s’être battu longtemps avec la maladie, il décède en laissant un héritage historique et documentaire considérable, du fait de toutes les positions qu’il a occupées au cours de sa vie ainsi que des quelques journaux qu’il a édités, notamment durant l’Occupation de la Seconde Guerre mondiale.